En 1916, M. Paul Lemaitre-Boutry apprenant le tissage à ses quatre fils,
de gauche à droite : Gabriel, Edouard, Paul et Louis.
(photo n° 02754)
Il y aura 85 ans... le 3 Janvier 1930 :
Toute une population conduisait
« Monsieur Paul » à sa dernière demeure.
Paul Lemaitre-Boutry
(1875-1929)
(Photo X DD 22672 n° Img 087)
Il fut triste le réveillon du 31 décembre 1929 à Halluin, « Monsieur Paul » venait de disparaître le 29 décembre à l’âge de cinquante-cinq ans. On tournait une page de l’histoire de la commune.
Né à Halluin, le 4 Avril 1875, Paul Lemaitre-Boutry industriel, ancien adjoint au maire, fondateur du groupe halluinois des familles nombreuses, de la concordia-harmonie, fut l’une des grandes figures halluinoises du début du vingtième siècle ; artisan, notamment, de la construction de l’hospice du mont d’Halluin, magnifiquement transformé (en 1989) en maison de retraite, mais aussi généreux donateur du terrain pour la construction du monument aux Morts, situé rue de Lille.
Issu d’une vieille famille halluinoise qui, non seulement fournit à la cité de nombreux magistrats municipaux, mais dont les membres furent ici les créateurs de l’industrie textile, M. Paul Lemaitre-Boutry était le fils de M. Paul Lemaitre-Bonduelle, ancien conseiller général, maire d’Halluin pendant vingt-sept ans, le petit-fils de M. Edouard Lemaitre-Demeestere fondateur de la maison Lemaitre-Demeestere, et l’arrière petit-fils de M. Pierre Demeestere-Delannoy nommé maire d’Halluin en 1830.
Elu conseiller municipal le 6 mai 1900, prenant la place de son père, maire de la ville, qui ne sollicitait plus le renouvellement de son mandat, Paul Lemaitre fut réélu le 1er mai 1904, et nommé adjoint le 13 mai suivant.
Les inventaires des biens de l'église Saint-Hilaire - 8 Mars 1906.
(Photo n° 1848)
Né avec la loi de "Séparation de l'Eglise et de l'Etat", cet inventaire des biens de l'Eglise a pour but de répertorier les biens qui seront transférés vers des associations culturelles ; l'Etat confisquant purement et simplement tous les biens d'Eglise antérieurs à la Révolution.
Les inventaires d'Halluin auraient dû avoir lieu le 7 ou 9 mars 1906 : M. Rabier, inventorieur, ne peut effectuer son travail ni à Saint-Hilaire, ni à Saint Alphonse. Selon le "Journal de Roubaix", on parle de 3000, 8000 et même 12 000 manifestants catholiques qui interdisent l'approche de l'église.
La foule est massée devant l'Eglise Saint-Hilaire (centre)
en Mars 1906, pour empêcher le pillage de l'édifice.
(Photo AL n° 230)
Paul Lemaitre sut mener de pair les obligations de cette nouvelle charge avec le souci des affaires commerciales. Grâce à lui, lors des sinistres inventaires, il fut possible de transformer en blockhaus notre église, pour résister de manière efficace au siège en règle des sectaires assaillants ; cette conduite courageuse lui valut la suspension de ses fonctions le 10 mars 1906, puis la révocation par la Préfecture.
Au centre, en 1908, Mgr Charost en compagnie de tous les enfants Lemaitre,
de Pierre Defretin Maire d'Halluin et de l'Abbé Deram.
(Photo n° 5952)
Le 17 mai 1908, les fonctions d’adjoint lui étaient de nouveau confiées. Aux élections du 3 mai 1912, les électeurs firent sur son nom, une belle manifestation de sympathie : Paul Lemaitre était élu en tête de liste, puis bientôt renommé adjoint à l’unanimité.
Au cours de son mandat, M. Lemaitre s’occupa avec une particulière compétence des services publics. Il apporta ses soins et son dévouement à la construction du superbe hospice-hôpital du mont d’Halluin, établissement si nécessaire alors à la ville, attentif à gérer les affaires communales, à créer des œuvres durables, et à se montrer économe des deniers des contribuables.
(Photo ARPH DD 22670 n° Img 073)
Mais là où il se distingua surtout, où il donna la mesure de ses moyens, ce fut au cours de l’occupation.
Au moment de la déclaration de la Première guerre mondiale, Paul Lemaitre était âgé de 39 ans, et adjoint au maire. Père de dix enfants, il lui fut permis de demeurer à Halluin. M. Pierre Defretin le maire, l’autre adjoint M. Louis Odou-Loridan, étant tous deux septuagénaires, lui confièrent l’administration de la ville dès l’arrivée des Allemands, le 16 octobre 1914.
En cette qualité, M. Lemaitre eut de constants rapports avec la kommandantur. Intermédiaire entre la population et l’autorité ennemie, il fut sans cesse l’objet des injures et des menaces des officiers, et eut à répondre à des réquisitions chaque heure, de jour comme de nuit. On le recherchait pour lui dire : « Monsieur Paul, on vous demande à la kommandantur ».
Il s’y rendait quand même, malgré son sentiment instinctif de révolte car il savait l’accueil qui l’attendait, la nature des ordres qu’il allait recevoir, et les insultes dont il allait être abreuvé.
Il fut emprisonné six fois pour des périodes variant entre six et quinze jours, pour avoir résisté aux prétentions allemandes notamment au sujet du paiement des contributions de guerre, et surtout du refus de payer le travail des ouvriers dans les usines.
(Photo DD 22448 n° P1230019)
Ce fut à cette époque le 30 juin 1915, que parut la fameuse lettre du commandant de place exigeant que tout ce dont l’autorité allemande avait besoin pour l’entretien des troupes, fut fabriqué par des ouvriers du territoire occupé sous peine de destruction de la Ville. Cette lettre put être expédiée à Paris, et fut publiée par tous les grands quotidiens de la capitale.
La reproduction de cet écrit amena l’ouverture d’une enquête faisant subir à M. Lemaitre de nouvelles insolences et menaces de mort. Malgré cela, Paul Lemaitre fit preuve d’une énergie admirable, d’une patience raisonnée et d’un patriotisme ardent.
C’est grâce à lui que les offices purent encore être célébrés, le dimanche, dans notre église que les Allemands voulaient accaparer. Il intervint aussi, mais sans succès, pour empêcher de transformer cette belle église en écurie, pour les chevaux des soldats de la Garde impériale. Et, c’est la rage au cœur et les larmes aux yeux, qu’il vit enlever les cloches qu’il avait supplié la kommandantur de laisser.
Un convoi de chariots allemands stationne devant l'Ecole du Sacré Coeur.
(Photo ARPH DD 22685 n° Img 100)
Des camps de prisonniers russes furent installés à Halluin ; il intervint pour protester contre les brutalités exercées sur ces malheureux par les soldats allemands qui les surveillaient. Plus tard, lorsque des prisonniers anglais, italiens, français furent gardés dans les usines de la ville, il parvint, à l’aide de mille subterfuges, à leur remettre des vivres, du linge, des vêtements.
Il protesta contre l’emploi près des lignes de feu d’habitants valides de la ville, et travailleurs civils amenés en Belgique. Il refusa toujours de livrer les listes des assistés pour les soustraire le plus possible au travail pour l’ennemi.
Dans la cour des Ets Lemaitre, rue de la Lys, en 1918,
en présence de Paul Lemaitre fils,
et des directeurs Ramaen Henri et Herman Paul.
(Photo 698)
Pendant toute la durée de l’occupation, M. Lemaitre fit tout ce qui était humainement possible pour le ravitaillement de la population en vivres, linge, charbon, et se dépensa sans compter avec un dévouement et une bonté admirables, pour rendre à ses concitoyens, sans distinction, tous les services qu’ils réclamaient de lui. Jour et nuit il se tint à leur disposition, sans souci de sa famille et de lui-même.
En juin 1917, lorsque l’autorité allemande émit la volonté d’évacuer la ville par moitié, il protesta encore et réclama l’application de toutes les mesures propres à rendre le départ des habitants le moins pénible possible. A l’évacuation générale, le 30 septembre et le 1er octobre 1918, il partit l’un des derniers, par le Mont d’Halluin. Quelques jours plus tard, la délivrance d’Halluin sonna joyeusement le 17 octobre 1918.
Le lendemain, Paul Lemaitre était de retour et dès le 25 octobre, il réunissait le conseil municipal qui prenait, de concert avec les autorités anglo-françaises, les premières mesures propres à assurer l’alimentation l’assainissement, la désinfection et la réorganisation de la ville. Les halluinois respiraient enfin, délivrés de ce cauchemar qui avait causé beaucoup de vide et de souffrances.
Catholique convaincu, Paul Lemaitre se dévoua sans compter pour les œuvres paroissiales, particulièrement le Cercle Saint-Joseph et les écoles libres, qu’il considérait comme l’œuvre primordiale. Il était aussi membre du Conseil paroissial.
La guerre terminée, ce père de onze enfants, comprit, que pour remplacer les trop nombreux disparus, il fallait encourager et aider la natalité, grouper et soutenir les nombreuses familles. Il en prit l’initiative, et avec l’aide de quelques amis, fonda la section des familles nombreuses d’Halluin, dont il était le président d’honneur et l’un des principaux animateurs.
L'Harmonie Municipale en 1907... qui deviendra à la fin de la guerre la "Concordia".
(Photo ARPH 22673 n° Img 088)
Patriote ardent, il était vice-président de la société « Les Frères d’Armes », et membre d’honneur des sociétés patriotiques. Il encouragea et soutint les sociétés musicales et sportives halluinoises. Il fut également le fondateur de la Concordia-Harmonie. Chef d’industrie, il était toujours en quête des derniers perfectionnements dans la technique du tissage.
Sa santé étant ébranlée, à l’expiration de son mandat en novembre 1919, il crut devoir renoncer à sa candidature au conseil municipal. Cependant bien qu’éloigné de la mairie, il n’en continua pas moins à s’intéresser à la ville
Paul Lemaitre dans l'usine de tissage rue de la Lys, en 1922.
(Photo 2543)
Le Monument aux Morts, rue de Lille Halluin
lors du 80ème Anniversaire de l'Armistice - 11 Novembre 1998.
(Photo ARPH DD 22682 n° Img 099)
Il fit, dans un endroit des mieux choisis, l’acquisition d’un terrain qu’il mit à la disposition du comité de souscription, pour l’érection d’un monument aux Morts de la guerre. Il combla même le manquant, et c’est ainsi qu’Halluin peut-être fière de posséder, à la mémoire de ses glorieux disparus, une œuvre d’un caractère grandiose qui fait l’admiration de tous.
Bien que la modestie de M. Lemaitre fut rebelle aux distinctions, on aurait pu croire que ses grands mérites eussent attiré l’attention du pouvoir, mais celui-ci parfois si prodigue dans ses distributions, se contenta de lui octroyer en 1923, la médaille de la Reconnaissance Française.
Le 3 Janvier 1930... Toute une ville accompagne le corbillard...
(Photo X 22684 n° Img 042)
Les funérailles de Paul Lemaitre ont donné lieu à une grande manifestation de reconnaissance, le vendredi 3 janvier 1930 en l’église Saint-Hilaire. Il repose depuis dans le caveau établi à proximité du monument élevé à la mémoire des halluinois morts pour la France.
... de "Monsieur Paul".
(Photo n° 2756)
Le caveau familial de la Famille Lemaitre-Boutry...
(Photo DD 22680 n° P1230969)
... au Cimetière d'Halluin - Novembre 2014.
(Photo DD 22681 n° P1230970)
De mémoire, jamais pareille cérémonie n’avait été vue à Halluin, ou plutôt il fallait se reporter aux funérailles de M. Paul Lemaitre-Bonduelle, son père, pour se rappeler d’une telle manifestation. Presque toutes les familles halluinoises étaient représentées, dans le long convoi qui suivait la dépouille mortelle de celui que le peuple appelait « Monsieur Paul », et qui laissa à tous ceux qui l’ont connu, aimé et apprécié, le souvenir d’une bonté proverbiale et d’un dévouement infatigable.
(Photo NE DD 22671 n° Img 085)
L'Homme du XXème Siècle Halluinois...
Erreur de transcription : Il faut lire Lemaitre (sans accent) et Boutry (avec un t).
Paru dans "La Voix du Nord"...
(Photo VdN DD 22666 n° Img 066)
... du 7 Janvier 2000.
(Photo VdN DD 22667 n° Img 067)
Paru dans "Nord Eclair" du 30 Janvier 2000.
(Photo NE DD 22668 n° Img 068)
La Reconnaissance Halluinoise !
"Deux Halluinois, M. Pierre Defretin Maire pendant la Première Guerre mondiale, mais aussi
M. Paul Lemaitre-Boutry, son Premier adjoint, ont joué un rôle primordial
à la tête de la population halluinoise dans des circonstances dramatiques !...
Ne serait-il pas temps d'honorer enfin..., la mémoire de Messieurs
Pierre Defretin et Paul Lemaitre
en attribuant leur nom à un bâtiment, une rue, un espace, une stèle ou une plaque ...
en rapport avec les services exceptionnels rendus à toute la population halluinoise.
Cette initiative, je pense, serait la plus belle et la plus juste reconnaissance
envers les deux anciens administrés.,
mais également, un geste symbolique pour toutes celles et ceux
qui oeuvrent au travail de la mémoire collective de notre ville".
2 Octobre 2014
Daniel DELAFOSSE
Exposition sur la Guerre 14-18 et Halluin,
organisée par l'ARPH - Octobre 2014.
(Photo DD 22683 n° P1220817)
Voir aussi :
Guerre 14/18 – Visite chez Defretin (Séance du Conseil Municipal d’Halluin, le 30 Juin 1915 – Document) :
http://alarecherchedupasse-halluin.net/index.php?option=com_content&view=article&id=1285:visite-chez-defretin&catid=11:guerre-14-18-&Itemid=219&lang=fr
Guerre 14/18 – Troupes allemandes (Halluin occupée, sous la responsabilité de M. Paul Lemaitre-Boutry) :
http://alarecherchedupasse-halluin.net/index.php?option=com_content&view=article&id=2801:guerre-1418-troupes-allemandes-en-mouvement&catid=11:guerre-14-18-&Itemid=219&lang=fr
Les inventaires des biens de l’Eglise Saint-Hilaire en 1905 – 1906 :
http://alarecherchedupasse-halluin.net/index.php?option=com_content&view=article&id=448:les-inventaires-du-8-mars-1906153&catid=19:culte-catholique&Itemid=252&lang=fr
Guerre 14/18 – Halluinoises évacuées à Hal B. (La magnifique résistance civile halluinoise) :
http://alarecherchedupasse-halluin.net/index.php?option=com_content&view=article&id=1215:guerre-14-18-halluinoises-evacuees-a-hal&catid=11:guerre-14-18-&Itemid=219&lang=fr
Pierre-Joseph Demeestère (Maire d’Halluin 1865 – 1873) :
http://alarecherchedupasse-halluin.net/index.php?option=com_content&view=article&id=2984:pjdd&catid=146:elus-et-agents-municipaux&Itemid=126&lang=fr
Edouard Lemaitre-Demeestère (Maire d’Halluin 1830 – 1865) :
http://alarecherchedupasse-halluin.net/index.php?option=com_content&view=article&id=2985:edouard-lemaitre-demeestere&catid=146:elus-et-agents-municipaux&Itemid=126&lang=fr
Paul Lemaitre-Bonduelle (Maire d’Halluin 1874 – 1900) :
http://alarecherchedupasse-halluin.net/index.php?option=com_content&view=article&id=2986:paul-lemaitre-bonduelle&catid=146:elus-et-agents-municipaux&Itemid=126&lang=fr
27/11/2010 - 20/11/2014
Commentaire : Daniel Delafosse
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