La Chaiserie Coopérative "La Sève".
Constant Dehooghe (debout) et Achille Knockaers.
(photo n° 00812)
Halluin, Capitale de la Chaise...
Historique.
Halluin était connue pour la fabrication des meubles et, surtout, de la chaise. Ne disait-on pas, dans le temps, de la « chaise d’Halluin » comme on parlait de porcelaine de Limoges, ou de la soierie de Lyon.
Des 10 chaiseries existantes à Halluin au début du siècle ,aux quelques 20 vivantes en 1935, il n'en rreste guère dans la ville. Et pourtant la renommée de la chaise d'Halluin, solide, élégante, vernie au tampon, inusable, est largement répandue dans le Nord et les départements avoisinants.
Si la chaiserie tel que l’ont connue de vieux Halluinois, a presque totalement disparu, elle a su s’adapter au goût du jour, jusque dans les années 1990. Lorsque nos anciens Halluinois se rappellent de ce temps un peu avant la guerre 14-18 où, de bon matin, les rues s’animaient d’hommes, mais surtout des femmes, parfois aussi d’enfants de 10 à 13 ans, portant des chaises sur l’épaule, et se dirigeant vers l’une des nombreuses entreprises de chaises de la ville.
C’est en 1870 que l’artisanat de la chaise débute à Halluin, grâce à la proximité de la Belgique. Les scieurs le long de ce pays, se trouvant sans travail, à la suite de la suppression des forêts, viennent s’implanter particulièrement à Halluin et s’adonner au travail de la chaise.
C’est en 1877 que cet artisanat prendra vraiment son essor et se transformera rapidement en industrie.
Avant la guerre de 1914 on comptera une quinzaine d’entreprises qui occuperont jusqu’à deux mille ouvriers dans de grands ateliers, et davantage encore de rempailleuses et canneuses à domicile.
Evoquons quelques noms qui sonnent encore familièrement aux oreilles des plus anciens ;
La chaiserie Lévecque-Odou, rue des Ecoles (actuellement rue Gustave Desmettre), qui cessa son activité en 1912.
Les établissements Henri Vanheddeghem, Prosper Vanlerberghe qui avait des ateliers très importants et occupaient plus de cent rempailleuses.
Simono, rue Félix Cadras, à l’emplacement où se trouvait le « Lavoir automatic » et la chocolaterie Stéphane : Vanackère-Glorieux, Lemaire, Holvoet, Vandommele, Fouvez... et après la guerre : Bisbrouck, Casier, Delbaere, Edouard Dewailly, reprise en 1923 par la Coopérative "La Sève", Geerlandt, Coboitex, les frères Scherpereel, Jérôme Dechaene, Julien Bonte, R. Deduytsche, A. Vanhoutte, les frères Boonaert… pendant que les anciennes chaiseries disparaissent.
Il ne faut pas oublier aussi les chaiseries qui sont réparties dans les différents hameaux et qui faisaient vivre une grande partie de la population de Menin et Halluin. Une majorité du personnel employé était belge.
Les descendants des Ets Vanackère-Glorieux, ont fait le récit de la chaiserie qui a été fondée avant le XXèe siècle. Il ressemble pour tout ce qui est la fabrication, à toutes autres chaiseries. La demande est énorme à l'époque, et les ateliers s'équipent en machines modernes : des scies à ruban, une toupie, une dégauchisseuse, une mortaiseuse, plusieurs tours à bois. L'alimentation du courant est produite par un moteur à gaz pauvre jusqu'à l'apparition de l'électricité.
Le bois fourni par les scieries halluinoises mais aussi acheté parfois à d'autres exploitants forestiers, sèche longtmeps sur le chantier. Une chaise n'est jamais fabriquée avec des bois humides. Les finesses - nom donné aux pailles de marais très fines - s'achètent en Belgique dans la région de Tournai et de Courtrai, ainsi que la paille qui les recouvre mais cette source s'étant tarie, ces finesses sont fournies par l'Italie.
La chaise demande beaucoup de soin depuis son assemblage jusqu'à sa finition. De nombreus modèles ont une certaine élégance. La chaise d'Halluin a une réputation excellente dans le Nord, le Pas-de-Calais et la Somme. Mais les chaiseries de la Somme prennent de l'extension et viennent concurrencer directement la chaise d'Halluin, les salaires étant plus bas dans les campagnes. Il faut savoir que la main d'oeuvre entre pour plus de 50 % dans le produit fini. C'est certainement l'un des produits où la part de main-d'oeuvre est la plus élevée.
On dit qu'à l'époque il y eut des milliers d'ouvriers du bois dans ces chaiseries, dans les ateliers ou à domicile. Des ouvrières textiles racontent que le matin, dans ce défilé de gens qui partent au travail dans les filatures, les tissages et autres, on laisse le trottoir aux rempailleuses de chaises qui portent à bras trois chaises ou prie-Dieu avec leurs fournitures. On leur laisse toute la place. En règle générale une ouvrière rempaille trois chaises par jour ou réalise trois cannages. C'est un métier fatigant qui demande beaucoup de force musculaire, et l'apprentissage est très long pour réussir une chaise sur laquelle on soit bien assis, qui ne se défonce pas au bout de six mois. La chaise d'Halluin dure parfois toute une vie.
Le bois est une matière noble qu'il s'agisse de hêtre, de chêne ou de frêne. Il entre dans la fabrication des objets les plus essentiels à la vie du foyer : des chaises, des meubles pour ranger les vêtements et la vaisselle, des chambres à coucher. Les salaires sont plus élevés que dans le textile. Un grand nombre d'ouvriers sont frontaliers. Ils sont très qualifiés.
Pendant la grande guerre, le Nord et le Pas-de-Calais ont subi beaucoup de destructions : habitations, commerces, églises. Il faut reconstituer le mobilier. Ainsi au fur et à mesure que s'édifient des logements, des maisons d'habitation, avec l'afflux de la population belge qui s'installe définitivement à Halluin, les chaisiers et fabricants de meubles se multiplient. Des ouvriers s'installent à leur compte avec quelques machines à bois, quelques assembleurs et des rempailleuses. Chacun vit de son métier. Curieusement les catalogues présentent les mêmes modèles, ou presque. L'imprimeur n'en modifie que les numéros.
Une crise survient dans les années 30 : concurrence surtout de la Somme, de l'Aisne et du Cambrésis ; et peut-être aussi pendant un certain temps un tassement dans la construction de logements. Beaucoup de chaiseries sont frappées par cette crise.
Après la guerre de 1939-1945, les modèles classiques commencent leur mutation. La clientèle a changé de goût. Elle préfère un style néo-moderne, ou au contraire rustique. La conception de modèles nouveaux nécessite beaucoup d'imagination. Certains fabricants ne peuvent pas suivre et disparaissent. Seuls ceux qui s'adpatent avec ingéniosité et talent aux ecigences de la clientèle, poursuivent leurs activités.
Le bois est noble, mais très cher. D'autres matériaux sont arrivés. Le tube, le plastique, le cuir, les tissus, des matières nouvelles, légères et solides, ont donné d'autres formes à la chaise d'autrefois qui avait traversé les siècles.
Saint-Paul est le patron des chaisiers. Sans doute fout-il choisi parce qu'au cours de ses voyages, il tressait des paniers dans les ports. Il disait souvent qu'il ne voulait être à la charge de personne, et travaillait donc de ses mains. Le 25 janvier est férié dans toutes les chaiseries. C'est la fête patronale.
Il n'est plus guère de fabricants dans la ville. Certains ont essayé de suivre et parfois même de précéder les goûts de la clientèle. Il faut beaucoup d'imagination pour surmonter les difficultés et garder sa réputation de qualité à la chaise d'Halluin. Il en reste peu pour succéder à cette génération d'ouvriers et de patrons du bois, dont la noblesse du métier a fait la réputation de notre ville bien avant le siècle.
Les Rempailleuses de Chaises...
Les rempailleuses formaient la plus grande partie du personnel de cette industrie, elles travaillaient presque toutes à domicile. Certaines, qui venaient de Belgique, louaient une pièce dans une maison et se rassemblaient à plusieurs (jusqu’à huit) pour se partager les frais de loyer.
Exercé par des familles de conditions modestes, le métier de rempailleuse n’était pas de tout repos. Il s’apprenait dès le plus jeune âge. Les enfants, les filles surtout, aidaient leur mère au retour de l’école et pendant les jours de congés.
A douze ans, l’apprentissage commençait vraiment, et à 13 ans, les filles étaient embauchées comme rempailleuses. Pour bien connaître son métier, il fallait assimiler les nombreux modèles tels que la chaise « Turque à barette », la « Demi-polka », la « Trois points » ou encore de la « chaise de style ».
Le métier était salissant, et la cuisine, où bien souvent la famille l’exerçait, n’était pas toujours bien rangée et ressemblait plus à une bergerie, avec ses tas de paille coupée amoncelés dans tous les coins.
Peu rémunérateur, pourtant il constituait un appoint appréciable aux familles nombreuses de l’époque, qui ne connaissaient pas les allocations familiales.
Chaque matin, les rempailleuses portaient leur travail de la veille à l’entreprise qui les occupait, et en reprenaient de l’autre. On les rencontrait portant jusqu’à six chaises sur l’épaule , les « pailles » serrées dans une grande poche cousue au milieu du tablier, les bottes de paille des marais « La finesse » sous le bras resté libre.
Elles trottinaient le long des rues sans perdre de temps, l’ouvrage sollicité ne devait-il pas être terminé le soir même. L’on estimait qu’il était possible d’empailler trois chaises en sept heures et demie.
D’anciennes chaisières se plaignaient d’avoir mal aux hanches, tant elles ont porté de chaises dans leur jeunesse.
Tout cela reste du souvenir de nos anciens, qui regrettent le temps où l’on travaillait tous ensemble, à la maison, en chantant bien souvent. Il n’existait pas de machine pour couvrir les voix.
Temps dur et pourtant heureux, si proche encore et pourtant si loin.
Pour la petite histoire, en 1969, on fabriquait encore à Halluin, 350.000 chaises !
Les deux dernières chaiseries d’Halluin étaient : celle de « La Renaissance » qui fermera ses portes en 1992, et la chaiserie coopérative « La Sève » fondée en 1923 et dont la cessation survient fin septembre 1994. Une grande page de l’Histoire industrielle de notre ville est tournée.
14/3/2011.
Commentaire : Daniel Delafosse
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