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01979

 Trois halluinois rescapés de Verdun :

 Auguste Doleans (1893-1976), Antoine Demeestere (1894-1976),

 Henri Duhamel, au Monument aux Morts, le 24 juin 1976.

(photo n° 1979)

 

Qu’est-ce qu’un Poilu ? 

 

 

Le poilu est l’homme dont tout le monde parle, c’est l’homme des bois, des cavernes, l’homme redevenu sauvage, c’est l’homme que tout le monde regarde avec plus de curiosité que de pitié, c’est l’homme qui souffre, qui meurt, qui court à la mort, qui sait sa fin proche et qui ne se plaint ni de ses souffrances, ni de la courte durée de son existence.

 

Le poilu c’est l’homme qui pendant plusieurs jours demeure enterré dans un fossé profond rempli d’eau, parfois de sang, dans un fossé où la pluie tombe plus drue, le froid plus vif qu’autour des chenets remplis de braise, dans un fossé où le jour vient tôt, où la nuit vient tard, sans qu’on puisse l’abréger, sans la moindre clarté.

 

Le poilu c’est l’homme qui n’est jamais propre, c’est l’homme qui se couche sans trop savoir sur quoi, tantôt sur de la paille humide prête à se transformer en fumier, ou sèche où sillonnent les poux. Le poilu c’est l’homme qui voit, qui entend, devine la mort courir vers lui, la mort affreuse, la mort sans beauté, la mort sanguinolente et douloureuse, la mort au fond d’un trou.

 

 C’est l’homme qui pendant une demie journée, une journée, deux journées complètes de 24 heures chacune, demeure immobile, accroupi dans un boyau en butte de l’artillerie ennemie qui peut le carboniser, l’asphyxier, le rendre fou, le décapiter. C’est l’homme qui voit cette oeuvre effroyable s’accomplir autour de lui et qui attend chaque jour, à chaque seconde depuis plus de trois ans que son tour arrive d’être déchiqueté.

 

C’est l’homme autour de qui les camarades crient, ou pleurent, ou tombent et qui sent tout d’un coup son sang jaillir pendant qu’il étanche le sang d’un ami. C’est l’homme qui écoute travailler sous lui dans les entrailles de la terre et qui des fois, s’attend à être précipité en débris dans un entonnoir après avoir sauté plus de 25 mètres dans les airs.

 

Le poilu c’est l’homme qui reste deux ou trois jours durant dans une tranchée sans rien manger que des biscuits ou du pain, sans boire autre chose que de l’eau puisée sous ses pieds ou la gnole qui lui tortille les boyaux ou endort le cerveau. Le poilu c’est celui qui tient sans cesse à la main une pelle, une pioche ou un fusil, qui sans cesse s’ennuie, l’un ou l’autre, qui souvent tombe de fatigue sans lâcher la crosse de l’un ou le manche de l’autre.

 

Le poilu c’est l’homme qui a perdu la notion de la civilisation, de l’hygiène, de la pitié, de la raison, du confortable, de l’amour. Sa joie la plus grande lui serait de voir le spectacle de la douleur ou de la mort de son adversaire. Rien d’humain lui reste que le sentiment d’amitié pour les autres.

 

Quoique Français le poilu ne s’en préoccupe guère et ne s’y intéresse pas, il voit tomber sans s’émouvoir, il les voit mourir d’un oeil sec presque dur. Pourquoi s’attendrir puisque le même sort lui est réservé ? Le poilu c’est l’homme qui n’a pas de décorations mais qui en réalité chaque jour en mérite et c’est sans doute qu’il en faudrait trop pour le récompenser de chacun de ses exploits qu’on ne lui en donne aucune. Le poilu ce n’est pas le secrétaire d’état-major, l’intendance regarde avec dédain, avec morgue, avec insolence, avec mépris.

 

Le poilu ce n’est pas celui dont la vareuse surmontée d’un faux-col éblouissant attestant les loisirs dans les bureaux éloignés des marmites et ce n’est pas celui qui couche dans un lit, qui cire ses bottes trois fois par jour, qui prépare l’écoute des couverts, mais celui que les embusqués reprochent d’être boueux, d’avoir des pantalons tachés avec capote sans boutons, des cuirs déchirés.

 

C’est celui qui dans les cantonnements arrive toujours le dernier lorsque les autres sont installés bien en place, lui est obligé de se caser dans des locaux infects, étroits, ouverts à tous les vents, à toutes les pluies, obligé de laisser aux autres, ceux que les balles ne risquent jamais d’atteindre, les bonnes cuisines, les bonnes granges abondamment pourvues.

 

Le poilu c’est celui que tout le monde admire et que tous s’en écartent lorsqu’on le voit monter dans le train, entrer dans un café, dans un restaurant, dans un magasin de peur que ses brodequins tachent les bottines, que ses effets maculent les vestons à la dernière coupe, que ses gestes effleurent les robes trop claires, que ses paroles soient trop crues, c’est celui que les officiers d’administration font saluer, c’est celui à qui l’on impose dans les hôpitaux, dans les dépôts une discipline dont les embusqués en sont exempts.

 

Le poilu c’est celui que personne à l’arrière ne connaît la vie véritable, pas même les journalistes qui l’exaltent, même les députés qui voyagent dans les 2e classes. Le poilu qui va en permission quand les autres y sont allés, c’est celui qui ne parle pas lorsqu’il revoit pour 7 jours sa famille, qui juge tout et qui dira beaucoup de choses après la guerre (...)

 

Correspondance De Gaston Mercier J 1182.

 

3/12/2010.

Commentaire : Daniel Delafosse