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Juin 1983 : M. Maurice Mahieu (à gauche), du Club de Javelot, 

est honoré à la Mairie par M. Albert Desmedt, Maire d'Halluin

 

La Libération d'Halluin - Septembre 1944

 

Albert Desmedt, le F.F.I. ressuscité. 

Récits publiés dans la presse locale.

« Finalement, cette histoire je n’ai jamais eu l’occasion de la raconter vraiment. Surtout pas à un journaliste… 

Que voulez-vous, quand on l’est soi-même, journaliste, on n’a guère le temps ni le goût de s’auto-interviewer ».

 Alors M. Albert Desmedt, qui travailla durant trente ans dans la presse régionale, avant d’être élu en 1983, maire de sa bonne ville d’Halluin, a gardé bien au chaud pour lui « son » histoire de la Libération.

 

Pourtant les souvenirs sont là, tout proche et étonnement précis. Il est vrai qu’il n’est pas donné à tout le monde d’avoir été abattu par les S.S., d’avoir reçu les derniers sacrements… et d’être encore là en septembre 1984, quarante années plus tard pour le raconter !

 

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Albert Desmedt en 1984,

à son bureau de la Mairie d'Halluin.

(Photo NE DD 13564  n° Img 138)

 

Depuis la fin de 1942 le jeune Albert Desmedt, âgé alors de 25 ans, est délégué au mouvement « Voix du Nord » pour le secteur de la Vallée de la Lys.

Responsable du service « ravitaillement » à la mairie de Bousbecque, il s’est vu confier par les chefs de la Résistance une double tâche : fournir en tickets d’alimentation les réfractaires au STO et toux ceux qui sont plus ou moins recherchés par les Allemands ; et aussi fabriquer de faux papiers en grande quantité.

 

« Tous les réfractaires bousbecquois, et je dis bien tous, ont pu être ainsi approvisionnés, mais aussi des Halluinois et des Tourquennois, des gens que l’on m’envoyait parfois de fort loin.

 Quant aux fausses cartes d’identité, elles étaient très bien faites ; nous prenions les photos dans l’arrière-salle du café « Le Porte-drapeau » sur la place de Bousbecque, et nous les développions tant bien que mal.

 J’ai aussi distribué sous les portes des milliers de journaux clandestins, une fois la nuit tombée ».

 

Tout cela avec à deux pas la présence d’un groupe d’Allemands dans l’école laïque de la rue Saint-Joseph, des soldats qui allaient rester à Bousbecque jusqu’au début de 1944 !

Survient alors le début du mois de septembre ; pour la première fois le groupe commandé par Albert Desmedt va se manifester publiquement.

 

« Nous avions reçu des ordres précis de Marcel et Jules Houcke, ce dernier président du Comité Départemental de la Résistance, que j’avais d’ailleurs hébergé chez moi.

Il s’agissait de parlementer avec les groupes d’Allemands, qui se repliaient, afin si possible d’éviter la casse. J’avais reçu une trentaine de brassards « F.F.I. » que j’avais distribué à des garçons que je savais prêts à intervenir.

 Je dois dire que tous autant que nous étions, manifestions beaucoup d’inconscience : le mot « héroïsme » est de ceux qui me font un peu rigoler.

La vérité c’est que nous étions tellement contents de faire quelque chose, que nous n’aurions pas cédé notre place pour un empire ».

 

Le dimanche 3 septembre 1944, l’équipe commandée par Albert Desmedt, qui comprend notamment René Gryspeerdt, personnalité bien connue à Bousbecque, décédée en 1983, stoppe et désarme un groupe de cinq Allemands pourtant équipés de mitraillettes et de pistolets, après une poursuite à travers champs.

Les F.F.I assurent eux-mêmes la garde des prisonniers pendant la nuit.

 

« Le lendemain, en fin d’après-midi, nous avons voulu rééditer la même opération. J’étais avec deux autres F.F.I. Robert Debuf et Henri Leuridan.

Mais cette fois nous sommes tombés sur un groupe de soixante S.S. armés jusqu’aux dents ! »

 

Dans un premier temps leur lieutenant fait mine de vouloir parlementer, puis toute la troupe met en joue les trois Bousbecquois. Les insultes « Terroristen », les menaces et les coups pleuvent.

 

« Ils nous ont collés contre la grille de l’usine Leurent et ont braqué leurs fusils vers nous. Mais comme ils allaient tirer, une violente discussion les a opposés.

Aucun d’entre nous ne parlait allemand, cependant nous comprenions bien le sens des paroles. Une partie de la troupe voulait nous fusiller sur place, d’autres préféraient nous garder comme otages afin de couvrir leur fuite vers la Belgique. Au bout d’un moment ils ont baissé leurs armes… ».

 

Les trois résistants auxquels les soldats ont joint un jeune Bousbecquois de vingt ans, Léon Six, qui depuis a donné son nom à la rue principale de la commune, sont placés devant la colonne de S.S. et se mettent en marche, fusils et mitraillettes braqués sur leur dos.

 

« Là, je dois quand même admettre que j’ai eu la trouille de ma vie ! Ces quatre kilomètres de Bousbecque à Halluin, à pied, bras levés, les armes dans le dos, sachant parfaitement que dès qu’ils n’auraient plus besoin de nous ils nous abattraient froidement, c’est quelque chose qui se raconte et s’exprime difficilement… ».

 

Malgré tout, le groupe parvient à Halluin. Juste à la frontière avec Menin, des résistants français et belges qui stationnaient près de la douane aperçoivent la colonne. Aussitôt ils ouvrent le feu après avoir fait signe aux quatre prisonniers de se jeter sur le sol.

 

« Ensuite tout s’est passé très vite ; dès les premiers coups de feu, je me suis senti basculer en avant. Des témoins nombreux à cet endroit, m’ont ensuite raconté que j’avais poussé un grand cri, un seul.

Je me souviens parfaitement d’une seule chose : j’ai porté la main à mon côté droit qui me faisait mal. Il y avait dessus du sang et une espèce de glaire. Puis je suis tombé dans les pommes ».

 

En fait, seuls Henri Leuridan et Robert Debuf ont eu le temps de plonger. Le premier sera blessé au dos et au visage, le second s’en tirera avec une égratignure et réussira l’exploit de s’enfuir des lieux du drame en passant littéralement à travers les balles !

Albert Desmedt et Léon Six ont eu moins de chance, fauchés par la première rafale tirée par les Nazis.

 

Ceux-ci, après avoir essuyé quelques pertes, d’autant que des résistants bousbecquois se sont joints à ceux d’Halluin et de Menin, se retirent en tiraillant et vont se cacher dans le « Bois Gratry » tout proche.

 

Rue de la Lys, on a ramassé les corps ensanglantés d’Albert Desmedt et Léon Six. On les charge sur une vieille camionnette, et on les conduit à l’école du Sacré-Cœur, où l’abbé Blanckaert leur administre les derniers sacrements, car tous deux sont grièvement atteints.

 

Léon Six a été touché au ventre et au foie. Quant à Albert Desmedt, une balle de revolver lui a traversé le poumon, le transperçant de part en part à deux doigts de la moelle épinière.

Plus grave, une autre balle plus grosse, sans doute de fusil, lui a littéralement déchiqueté l’estomac. Le trou dans le ventre est gros comme « un bol de café au lait », selon les témoins oculaires.

On décide malgré tout de le conduire à un hôpital de Tourcoing rue des Ursulines.  

 

« Là, ma chance, ce fut le malheur d’un autre, un jeune F.F.I. grièvement blessé à Wervicq. On avait préparé une salle pour l’opérer d’urgence, mais il est mort pendant le trajet. Et là-dessus on m’amène. J’ai été opéré sur-le-champ, et c’est sans doute ce qui m’a sauvé ».

 

Léon Six, lui, succombera dans la nuit. Quant à Albert Desmedt, il reste trois semaines à l’hôpital, avant d’être rapatrié à Bousbecque, certes dans un triste état, mais hors de danger ;

On ne lui annoncera la mort de Léon Six qu’avec beaucoup de retard, pour éviter un nouveau choc trop violent.

 

« La suite des évènements, eh bien.. on me l’a racontée ! Tous les jours, des copains venaient se relayer à mon chevet et m’expliquaient la débâcle allemande.

 Puis j’ai commencé à remarcher avec un bâton, comme on disait à l’époque. Mais j’ai conservé les cicatrices… et le dos rond, car j’ai mis des mois avant d’oser me redresser ! ».

 

Rue de la Lys, une simple plaque indique l’endroit où est tombé Léon Six.

 

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Septembre 1984 : Albert Desmedt devant la plaque

 à la mémoire de Léon Six, abattu à cet endroit 40 ans plus tôt.

 C'est de l'autre côté de la rue de la Lys qu'il est tombé

 le même jour sous les balles allemandes.

(Photo NE DD 13562  n° Img 099)  

 

Albert Desmedt, lui a été abattu de l’autre côté de la rue, à deux pas de la douane.

 « J’ai perdu tellement de sang que la tache en est restée en est restée marquée durant des mois et des mois, avoue-t-il dans un sourire. Car dans le sang, c’est comme certains souvenirs : ça marque très très fort… ».

De Bousbecque à Halluin, la libération sanglante…

 

Récit de M. Henri Leuridan, en septembre 1984, 

à partir de ses souvenirs et de ses archives personnelles.

« Le dimanche 3 septembre 1944, vers 18 h, une colonne, d’une cinquantaine d’Allemands, qui se repliait vers la Belgique, débouchait à Bousbecque par la rue de Wervicq, portant leurs armes en position de tir.

 Albert Desmedt se tenait sur le trottoir de l’usine Leurent, sans armes apparentes. Par signes, il demanda aux Allemands s’ils voulaient parlementer.

 

Le chef de la colonne ennemi, un lieutenant S.S. fit lever les bras aux premiers de sa troupe pour marquer son accord. Et Albert Desmedt s’avança alors, un mouchoir blanc à la main escorté par deux autres F.F.I., Robert Debuf et Henri Leuridan. Mais les Allemands baissèrent soudain leurs armes, mirent en joue les jeunes Français et les alignèrent contre un mur en menaçant de les exécuter séance tenante ».

 

« Dans les rues voisines, les Bousbecquois  regardaient atterrés, s’attendant au pire. Les autres F.F.I., trop peu armés, se tenaient dans l’usine, avec la consigne de ne pas intervenir sans ordre, de façon à éviter les représailles dont pouvait être victime la population civile.

 

Quand un Allemand ouvrit la porte de la cour de l’usine, en tirant un coup de fusil, Albert Desmedt assura qu’il n’y avait plus personne et referma la porte cependant que ses deux camarades confirmaient ses dires.

 

Les Allemands placèrent alors en tête de colonne les trois F.F.I. avec Léon Six, également trompé par l’attitude conciliante des soldats, qui était descendu du clocher où il se trouvait en observation.

 

Terrifiés, les Bousbecquois regardèrent défiler la colonne précédée par les quatre jeunes gens, les mains en l’air, comme des vivants boucliers. Ce fut un calvaire pour eux, sur quatre kilomètres, harcelés par les Allemands qui leur faisaient comprendre le sort cruel qui les attendait au bout de la route.

 

Alertés par les F.F.I. de Bousbecque, les groupes d’Halluin et de Tourcoing s’organisèrent pour sauver leurs camarades. Et c’est au poste de douane à Halluin, rue de la Lys, que la colonne ennemie fut attaquée.

 

Les Allemands tirèrent sur les otages qui s’écroulèrent tous les quatre.

Le combat fut féroce et seule l’intervention d’un tank ennemi permit à la colonne de déguerpir ».

 

«L’abbé Vuylsteke s’était précipité en pleine bataille auprès des quatre Bousbecquois. L’aumônier de la Jeunesse Catholique en trouva deux à peu près indemnes, Robert Debuf et Henri Leuridan, ce dernier légèrement blessé d’une balle dans le dos et d’un éclat. Mais Léon Six et Albert Desmedt étaient grièvement atteints.

 

Ils furent transportés par la Croix-Rouge au Cercle catholique. 

Le foie et les intestins perforés, Léon Six était inopérable, il mourut dans la soirée.

Touché de plusieurs balles au ventre et à la poitrine, Albert Desmedt put être soigné et se rétablit ».

 

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Le 6 septembre 1944, un officier anglais

appartenant à la colonne des "libérateurs"

rend visite à la famille de Léon Six, à Bousbecque.

(Photo NE DD 13563  n° Img 430)

 

8/9/2010 et 6/9/2012.

Commentaire : Daniel Delafosse