Clique Scolaire en 1934-35, dans la cour de l'ancienne Mairie,
rue Abbé Bonpain, actuelle caserne des pompiers.
Au centre (dernier rang), le Maire M. Gilbert Declercq.
(Photo n° 2991)
« Halluin La Rouge » 1919 – 1939 – Historique.
Un récit de Dominique Vermander.
L’histoire d’Halluin, entre les deux guerres mondiales, est rythmée par l’ampleur et la fréquence des conflits sociaux ainsi que par l’âpreté des luttes syndicales. L’originalité de cette commune ne s’arrête cependant pas là.
Halluin la Rouge, « ville sainte du communisme » écrit Maxence Van Der Meersch, constitue un symbole au sein d’une région qui est l’un des principaux bastions de la S.F.I.O. En effet, constamment réélue, la municipalité communiste engage toute une série de réalisations sociales et tente de populariser les grands thèmes de politique générale.
Une Municipalité Communiste.
Le Conseil Municipal : Les élections municipales de 1919 sont un succès pour les Socialistes. La différence de voix entre les deux listes qui s’affrontent est minime ; elle permet toutefois d’élire le 11 décembre un Conseil Municipal avec Gustave Desmettre comme maire, Lauridan et Verkindère comme adjoints. En 1920, tous ces militants adhèrent à la Troisième internationale, malgré l’opposition de V. Vandeputte qui doit quitter Halluin.
Lors des élections de 1925 à 1929, la présence d’une liste socialiste (S.F.I.O.) empêche la victoire de la liste communiste au premier tour. Mais en 1935, succès inespéré : le parti communiste obtient 57 % des suffrages, bien que, pour la première fois, des ouvriers chrétiens se soient engagés politiquement.
Sur un document postérieur à 1925, le conseil municipal au grand complet est photographié dans la cour de la Mairie. On peut y reconnaître quelques-uns des principaux militants politiques et syndicaux. Autour de Gustave Desmettre sont assis, à sa gauche, Gilbert Declercq, et à sa droite, Jean Verkindère et Victor Dereus. Immédiatement en arrière, se tiennent debout Gustave Casier, qui deviendra Maire d’Halluin à la Libération et Emile Bostoen.
Gustave Desmettre, un ancien manœuvre qui bénéficie d’une grande popularité, demeure à la tête de la municipalité jusqu’en 1935. Il est aidé par de nombreux militants tels F. Grenier, employé de mairie, Emile Bostoen et Gilbert Declercq. Ce dernier, devenue Maire d’Halluin après le décès de Gustave Desmettre, est ensuite élu en 1936 député communiste de la 9ème circonscription du Nord.
Les Réalisations Sociales : La nouvelle municipalité met de suite en application les principes communistes. Elle engage donc une action directe auprès de la population, soutient au maximum les revendications ouvrières et prévoit le développement des œuvres sociales.
Ses interventions sont extrêmement diverses. Elles consistent d’abord en des subventions allouées aux chômeurs grévistes, en des aides aux personnes âgées (colis, dégrèvements d’impôts). En même temps, le conseil municipal organise l’assistance médicale gratuite, le camp de vacances pour les Jeunes. Plus du tiers du budget communal est ainsi consacré à ces tâches.
Parmi les autres réalisations importantes, à mettre à l’actif de la municipalité communiste, sont à signaler les constructions de l’école Jules Guesde rue de la Lys, les bains-douches rue de Lille, le dispensaire rue des Ecoles et l’aménagement du jardin public auquel furent employés des chômeurs.
L’Action Politique : L’œuvre éducative va de pair avec la propagande. Des conférences, des représentations cinématographiques ont lieu à la Maison du Peuple, une bibliothèque est mise à la disposition de la population. Bien plus, on favorise la diffusion des grands thèmes nationaux du parti communiste : antifascisme, réformes sociales, soutien au droit des peuples, représentation proportionnelle.
Lors des grèves, l’ensemble du Conseil Municipal participe activement à la lutte. Il se charge de transmettre à la préfecture les revendications de la C.G.T.U. ou du comité des chômeurs ; il émet des « vœux », propose des solutions aux conflits ou encore demande le retrait des forces de l’ordre et la remise des pouvoirs de police au Maire.
La solidarité ouvrière et politique se manifeste également à l’égard des autres régions ou d’autres pays. Une aide concrète est apportée au Front Populaire espagnol. Des vivres et des vêtements sont collectés et de jeunes militants s’engagent dans les Brigades Internationales.
On voit sur un document un camion en voie de chargement à proximité de la Maison du Peuple. Le tableau porte l’inscription : « Le 29 juillet 1938. Le camion part avec 5.000 kg de marchandises. Valeur 50.000F. Vive Halluin. Vive l’Espagne ».
Les Elections Législatives : Pour le parti communiste, toute élection législative revêt une grande importance. La 9e circonscription du Nord, dont fait partie Halluin, est l’un des rares secteurs où il peut espérer l’emporter, alors qu’ailleurs l’implantation de la S.F.I.O. est trop forte.
De 1902 à 1936, le candidat constamment réélu est Monsieur Grousseau, Professeur de Droit à la Faculté Catholique de Lille. Membre de l’Action Libérale Populaire, groupe parlementaire fondé en 1901 afin de rassembler des Conservateurs ralliés à la République, celui-ci est un défenseur acharné de la cause catholique. Le 21 avril 1914, le « Réveil du Nord » l’appelle « l’Homme du Pape au Palais Bourbon ».
En 1928 et 1932, les communistes, à la différence des socialistes de 1914 maintiennent au second tour leur candidat et permettent indirectement la victoire de Monsieur Grousseau. Mais en 1936, Gilbert Declercq, Maire d’Halluin depuis une année, enlève la circonscription grâce à l’unit » issue du Front populaire. Plus que les évènements de politique générale, la crise économique et l’action engagée en faveur des chômeurs expliquent ce succès.
Après un moment de recul relatif entre 1928 et 1932, période pendant laquelle le pourcentage des voix obtenues aux différents scrutins tombe de 54 à 48 %, le Parti Communiste a donc largement reconquis son audience auprès des ouvriers halluinois. Les fautes tactiques commises lors des grèves de 1930 et 1931, les critiques avancées par les socialistes et les démocrates chrétiens sont momentanément oubliées.
C’est d’ailleurs à l’occasion de cette élection législative de 1936 que le parti communiste d’Halluin obtient le meilleur score, 2263 voix et 58 % des suffrages. Ce pourcentage record dépasse légèrement celui des élections municipales de l’année précédente, où il avait obtenu 2141 voix et 57 % des suffrages exprimés.
Les Conflits Sociaux.
Pleinement soutenu par une municipalité communiste, le Syndicat unitaire (C.G.T.U.) mène un combat virulent contre le patronat d’Halluin. L’industrie textile, qui est le véritable baromètre de la vie économique de la ville, connaît en effet des difficultés. A une première phase de reprise et d’expansion (1919-1928), a succédé une période de régression continue. Grèves et actions revendicatrices sont donc plus nombreuses avant 1930 et certaines d’entre elles vont étendre, bien au-delà de la région, la réputation d’Halluin « ville rouge ».
Les Mouvements Revendicatifs : La fréquence des grèves et des mouvements revendicatifs est telle qu’il est impossible de les évoquer tous. En 1924, l’ « Enchaîné » en dénombre 104 pour les cinq années précédentes.
A titre indicatif, on peut citer ceux de :
1921 : grève générale du textile.
1923-24 : divers mouvements notamment dans les teintureries.
1925-26-27 : grèves multiples aux Etablissements Dufour, Sion, à la Cie Française de caoutchouc.
1928 : 1er mars – 1er juin « conflit Sion ».
1928-1929 : grève générale des « Dix Sous ».
1930 : nouvelle grève générale aux mois d’août et de septembre.
1931 : différents conflits dans le textile.
1932-1933 : des arrêts de travail.
1936 : grèves et occupations d’usines.
1938 : lutte contre les décrets-lois.
Une photo montre un groupe de grévistes parmi lesquels les femmes sont très minoritaires. Ils écoutent un leader syndical venu les haranguer. Le port de la casquette est pour l’ouvrier le signe distinctif qui l’oppose à tous ceux qui portent un chapeau, généralement d’une classe sociale supérieure à la sienne.
Les Manifestations : Les manifestations sont chose courante à Halluin. La C.G.T.U. et le parti communiste invitent les ouvriers, notamment lors des grèves, à exprimer publiquement leurs revendications et à montrer leur force.
Ces rassemblements sont parfois de nature plus politique que syndicale. Ainsi, le dimanche 20 septembre 1925, une « contre-manifestation prolétarienne » répond à l’inauguration d’un monument aux morts, réalisé grâce à des souscriptions privées. Selon l’Enchaîné, « 8.000 travailleurs défilent en rangs serrés, réclamant la paix au Maroc et souhaitant une grève générale de 24 heures pour soutenir leurs revendications ».
Pour prévenir tout incident, la rue du Moulin, qui conduit au monument aux morts, est barrée par un groupe de gendarmes à cheval. Ce face à face « manifestants-gendarmes » était un fait familier pour les Halluinois de cette époque.
Le Rôle du Consortium Textile : Les rapports entre syndicats ouvriers et organisations patronales sont généralement tendus. Les syndicats chrétiens recherchent très souvent un compromis, mais les Unitaires se montrent plus intransigeants et durcissent les conflits.
Face à ces mouvements de grève, les patrons halluinois tentent d’abord de créer une association l’Union Industrielle d’Halluin (1923-1924) puis lors du conflit Sion, décident de se joindre au « Consortium textile » de Roubaix-Tourcoing.
Ainsi à partir de 1928, le véritable adversaire des syndicats est Désiré Ley, celui-là même qu’un dimanche de mars 1924, un vaste cortège organisé par la C.G.T.U., avait solennellement « brûlé » en effigie sur la place Jean Jaurès. Cet ancien ouvrier, issu d’une famille modeste, est devenu le véritable maître du Consortium et exerce, pour les syndicats, une sorte de « dictature » sur les quelques 350 usines textiles de la région.
Sous couvert de paix sociale, Désiré Ley tente de discréditer les syndicats ainsi que leurs représentants. A cette fin, il utilise les divisions ouvrières, use de la rivalité entre Chrétiens et Unitaires, comme l’indiquent des « Notes Confidentielles ».
Le Conflit Sion : Le 1er mars 1928 éclate aux Etablissements Sion un conflit très dur, qui devait persister au 1er juin de la même année. Son déclenchement a pour origine une diminution réelle du salaire des tisserands, lesquels étaient obligés de travailler avec des textiles de mauvaise qualité. Les communistes menacent de cesser le travail ; les chrétiens, hostiles à une action immédiate, recherchent la concertation.
Une fois déclenchée, la grève donne lieu à une diatribe violente. Entre les deux tendances syndicales, c’est la lutte ouverte. Pour la C.G.T.U., les syndicats chrétiens trahissent la cause des ouvriers. Pour la C.F.T.C., les syndicats unitaires veulent obtenir le monopole. Un affrontement est donc prévisible, mais l’entrée de M. Sion au Consortium textile bouleverse les données.
Face à Désiré Ley, qui a reçu plein pouvoir et veut écraser le mouvement syndical à Halluin, la lutte devient inégale. La position des syndicats chrétiens est intenable puisque ceux-ci sont mis en accusation aussi bien par les communistes que par D. Ley. Le Secrétaire de l’organisation patronale entretient à merveille ces suspicions à l’égard de ceux qu’il appelle toujours les « Démocrates-Chrétiens ».
La Grève des « Dix Sous ».
Nombre de grèves ont eu un retentissement régional et les industriels du Textile redoutent la contagion halluinoise ; La grève dite des « Dix Sous » est à ce titre, exemplaire. Celle-ci succède immédiatement au Conflit Sion, qui a eu lieu entre le 1er mars et le 1er juin 1928. Elle dure du 20 septembre 1928 au 1er avril 1929 et voit s’affronter un Patronat résolu et un Mouvement ouvrier extrêmement combatif, mais une fois encore, divisé. Assurément un échec pour les ouvriers halluinois, cette grève marque un tournant dans l’histoire sociale d’Halluin puisque la C.G.T.U. en sort affaiblie.
L’Origine du Conflit : La grève des Dix Sous ainsi dénommée parce que les ouvriers réclamaient 0,50 F de l’heure, a pour origine l’intransigeance du patronat ou plus exactement celle du secrétaire du Syndicat Patronal de Roubaix-Tourcoing, Désiré Ley.
Pour les syndicats textiles de la région, il est alors indispensable d’obtenir une augmentation importante du salaire horaire, compte tenu de l’accroissement du coût de la vie. Une action revendicatrice énergique est donc envisagée et préparée sur l’ensemble de la région textile. La grève générale n’est toutefois pas retenue comme absolument nécessaire.
Brusquement la grève prend naissance à Halluin le 17 septembre 1928. Par solidarité avec les mécaniciens qui entretiennent les métiers à tisser, les ouvriers du textile arrêtent le travail et tentent d’entraîner ceux des communes voisines, d’abord dans la Vallée de la Lys, puis à Roubaix-Tourcoing.
Dès ses débuts, la grève est donc rude. Un texte intitulé : « A l’index les affameurs !!! » a été placardé 14 semaines après le début du conflit. Il montre la dureté de ce mouvement revendicatif et la volonté des grévistes de parvenir à arracher quelques concessions au patronat. A cet effet, appel est lancé à tous les ouvriers afin de constituer un « front unique ».
Distribution de Vivres aux Grévistes : Déclenchée à la demande des ouvriers d’Halluin, la grève n’a été que provisoire. Le 10 octobre, le travail a partout repris, sauf à Halluin et dans les deux communes voisines de Roncq et de Wervicq. Toutes trois se trouvent, de ce fait, isolées. La résolution du Consortium patronal et la réticence de certains syndicats, qualifiés de « réformistes » par les communistes, ont empêché le mouvement de se poursuivre dans les autres cités industrielles.
Pendant six mois, 6.000 à 7.000 ouvriers textiles, dont près de 5.000 à Halluin, mènent un combat difficile. Pour la C.G.T.U., majoritaire, Halluin est la « citadelle » où il faut à tout prix réussir, où il est indispensable d’assurer une victoire éclatante de la classe ouvrière.
Une fois de plus, les syndicats ne peuvent envisager la poursuite de la grève qu’en faisant appel à la solidarité régionale, nationale et internationale. Le problème des secours en vivres et surtout en argent est fondamental. Tant par la C.G.T.U. que par la C.F.T.C., des emprunts sont contractés, des souscriptions sont organisées. Ils permettent de pourvoir à l’attribution de modestes secours financiers et, à la distribution de nourriture.
L’Exode des Enfants : La patience des ouvriers est soumise à une rude épreuve, d’autant que la troupe a été appelée pour appuyer les forces de gendarmerie. Les heurts sont d’ailleurs fréquents avec la police : jets de pierres, coups et barricades.
Les « Jaunes » ou « Briseurs de grève » subissent les brimades d’une population surexcitée par les privations. La nuit, les goudronnages de façades deviennent fréquents. En représailles, les portes de la Maison du Peuple sont recouvertes également de goudron, puis celles de l’immeuble du Consortium.
La répression s’accentue. Aux charges des escadrons de gendarmerie succèdent les arrestations, les expulsions de meneurs syndicaux. Des ouvriers sont condamnés à des amendes ou à la prison.
Devant cette situation, des familles acceptent de se séparer de leurs enfants. Encadré par les Forces de l’ordre fusil à l’épaule, le cortège se prépare à quitter la place Jean Jaurès en direction de la gare. Véritable exode qui indique la volonté de résistance et le courage d’ouvriers halluinois.
La Reprise : 15 Avril 1929 : « Donnez-nous nos dix sous, C’est notre salaire, Messieurs les filous, Donnez-nous nos dix sous »,
Pendant plusieurs mois, ce refrain a résonné dans les rues d’Halluin. Mais les industriels qui ont refait leur unité et créé l’Union Patronale d’Halluin, refusent de céder et donc de continuer « une politique de concessions ».
La poursuite de la grève devient impossible et il faut bien se résoudre à reprendre le travail. Pour la C.G.T.U. il ne s’agit là que d’une « retraite momentanée ». Pour les syndicats chrétiens, dont beaucoup d’adhérents ont plutôt subi la grève, la reconnaissance par le patronat textile du droit syndical lors de l’usine, interdit de considérer cette grève comme une défaite totale.
Une affiche intitulée : Aux ouvriers et à la population d’Halluin » est la seule qui fut placardée à Halluin par l’Union Patronale et ce, le 18 avril 1929 seulement, soit trois jours après la rentrée en usine. En énumérant l’ensemble des activités sociales auxquelles le Consortium Textile affirme se consacrer, le patronat cherche visiblement à atténuer le ressentiment ouvrier.
L’Opposition Syndicale.
Face aux Communistes, ni les Socialistes affiliés à la S.F.I.O. ni les Conservateurs ne représentent une réelle force d’opposition. En réalité la principale résistance au parti communiste et à la C.G.T.U., provient de l’Union des syndicats libres d’Halluin et environs, dont l’audience n’est pas négligeable auprès des ouvriers. La lutte est certes inégale, mais les militants regroupés autour d’Arthur Houte ne désarment jamais. Il est vrai que le soutien d’un évêque vient, au moment opportun, les confirmer dans leur action.
Toute une génération d’ouvriers, très vite initiés à la doctrine sociale de l’Eglise, ont, dès la fin du XIXe siècle, créé à Halluin et dans ce secteur de la Vallée de la Lys un mouvement social d’inspiration chrétienne.
Au lendemain de la première guerre mondiale, les « syndicats libres » se reconstituent et adhérent à la C.F.T.C. naissante. Ceux-ci se réinstallent d’abord au Foyer Démocratique, rue de Lille, puis à partir de 1927 à la « Maison des Syndicats Libres » rue des Ecoles.
Grâce à Arthur Houte, choisi comme secrétaire permanent, et à bien d’autres syndicalistes tels Gustave et Jules Verkindère, Nestor Saint-Venant, Victor Montagne, Henri Berte et Joseph Declercq existe un syndicat non socialiste mais cependant ouvrier.
Un tract de 1927 intitulé : « Réponse à un prétendu… Groupe de Catholiques », dont la rédaction porte l’empreinte évidente de l’aumônier du Cercle d’Etudes Léon XIII, ne peut se comprendre que dans le contexte de l’époque et par rapport à l’origine du mouvement ouvrier à Halluin.
Les Difficultés : Les syndicats chrétiens sont violemment pris à partie. Par intérêt immédiat ou par besoin de simplification, ils sont tantôt rejetés dans le camp des Unitaires, tantôt considérés comme alliés du patronat.
La rivalité est particulièrement vive avec la C.G.T.U. L’opposition fondamentale réside surtout dans les modalités et la finalité des grèves. Pour les uns, celles-ci sont un ultime recours lorsqu’on a épuisé toutes les possibilités de négociations, alors que pour les autres, elles sont également un outil « révolutionnaire » et un moyen de formation de la classe ouvrière.
Des Libelles circulent ; des injures sont échangées. Aux anathèmes de « sectaires » répondent les cris de « briseurs de grèves ». On dénonce ici l’emprise communiste, la démagogie violente des marxistes ; on condamne là l’esprit conciliateur et le « sentimentalisme » du chrétien.
Etranger à la notion philosophique de « lutte des classes », ainsi que l’indique clairement le tract précédent, les militants chrétiens réclament une plus grande dignité pour l’ouvrier, une meilleure organisation des professions, une diminution de la durée de travail ainsi qu’un relèvement matériel et moral de la famille.
Mieux que toute définition, une formule résume bien l’attitude des syndicalistes chrétiens de l’époque : « Républicain sans être radical, social sans être socialiste, patriote sans être nationaliste, catholique sans être réactionnaire ». Programme ambitieux et peut-être utopique, qui les condamne à être rejetés par l’un et l’autre camp.
Un document intitulé : Trois adversaires du 1er Mai » visait à discréditer Arthur Houte l’animateur des Syndicats chrétiens d’Halluin et de l’Epi. Il est représenté aux côtés de Robert Sion l’un des plus importants industriels de la commune, responsable selon la C.G.T. de l’un des plus durs conflits sociaux, et de Désiré Ley, le secrétaire du Consortium textile qualifié ici de « fripouille ».
Le Soutien d’un Evêque : En 1929, les Syndicalistes chrétiens reçoivent un appui exceptionnel de la part de l’Eglise officielle. Certes l’on savait que le nouvel évêque de Lille était attentif aux questions sociales. En tant que curé-doyen de Tourcoing, il n’avait pas hésité à rappeler au Patronat chrétien ses devoirs et ses obligations. Mais nul ne pouvait s’attendre à voir figurer sur une liste de souscription destinée aux grévistes d’Halluin et publiée par le « Nord social », le nom de Mgr Liénart.
C’était là sans doute l’un des premiers actes, en tant qu’évêque, d’un pionnier d’une Eglise catholique ouverte au monde. Cette prise de position, ainsi que son attitude à l’égard des ouvriers, devait lui valoir maintes critiques de la part du Patronat. Mais l’élévation au cardinalat de « l’évêque rouge » apportait la caution de Pie XI. Etaient ainsi confirmés dans leur action tous ceux qui, à Halluin et dans toute la région, cherchaient à mettre en pratique la doctrine sociale définie par « Rerum Novarum » et qui avaient à affronter un monde patronal hostile aux « Démocrates Chrétiens ».
Ces évènements eurent un grand retentissement dans les milieux chrétiens de France, dans la mesure où l’autorité religieuse prenait ouvertement parti pour des chrétiens engagés dans l’action syndicale. Il n’est peut-être pas exagéré de dire, comme Pierre Pierrard : « Les grandes grèves d’Halluin en 1929 marquèrent un tournant décisif dans l’histoire du catholicisme social, orienté dorénavant vers la promotion ouvrière ».
Les Elections Municipales de 1935 : Depuis 1919, Halluin est devenue pour le parti communiste une « citadelle ouvrière », où les élections lui étaient toujours favorables.
Après une tentative malheureuse, en 1929, leur liste étant qualifiée à tort de liste de Consortium, les chrétiens sociaux se lancent ouvertement dans la bataille municipale de 1935. A leur tête se trouvent Arthur Houte et d’autres militants connus, tous adhérents à la Jeune République.
Les résultats restent très positifs pour le parti communiste, mais font chuter la Droite, qui tombe à 13 % des suffrages ; Les « catholiques sociaux » obtiennent 24 % des voix.
Tentative audacieuse, combien significative de l’état d’esprit et de la combativité de ceux qui refusent d’être les continuels soutiens des Conservateurs. Du moins, ce vote traduit-il assez bien l’influence réelle des Syndicats Libres auprès de la population ouvrière halluinoise.
Figurent sur une photo, prise à l’occasion d’un anniversaire de l’encyclique Rerum Novarum, les principaux syndicalistes chrétiens : Victor Montagne, Arthur Houte, Gustave Verkindère, A. Myngers, Joseph Declercq, Alphonse Houte, J. Verkindère, H. Parmentier, V. Deplanque et G. Vandemelebrouck.
Cortèges et Défilés.
Pendant les journées de travail, les rues d’Halluin, même les principales, étaient souvent désertes et silencieuses. Mais, certains jours, les pavés mal joints ont résonné sous les pas des grévistes, tandis que retentissaient les clameurs des ouvriers. Au cours de la période d’entre les deux guerres, la plupart des grèves ont, en effet, été marquées par d’imposants défilés.
Sur une photo, le cortège s’avance précédé du drapeau rouge que des militants syndicaux encadrent. La présence d’une forte escorte de gendarmes témoigne suffisamment de la détermination des ouvriers et de la virulence de certaines manifestations.
Sur un autre document, la foule compacte des grévistes et des manifestants, d’où émergent plusieurs banderoles, débouche sur la rue de Lille. A première vue, les participants semblent relativement décontractés, mais les forces de police sont toujours présentes et visibles.
Les années 1914-1918 marquent une rupture profonde de la vie urbaine, non seulement parce qu’une municipalité communiste gère différemment la commune et soutient les nombreux mouvements sociaux, mais également parce que les liens traditionnels avec les autres villes de la vallée de la Lys, ou même les relations privilégiées avec Menin commencent à s’affaiblir.
Ainsi, faute de trafic suffisant, la ligne de chemin de fer vicinal, qui assurait la desserte des communes françaises de la Moyenne Vallée de la Lys, disparaît. Par contre, depuis 1926-1927, Halluin est reliée à Tourcoing grâce à un tramway électrique. Venant de Roncq, celui-ci emprunte en totalité la rue de Lille et vient stationner à proximité du bureau de douane, face à l’immeuble du Consortium. Mais, à la différence du chemin de fer à écartement normal, il n’y a aucun raccordement entre cette ligne et celle qui relie « Les Baraques » au centre de Menin (Belgique).
Les facilités de déplacement vers Tourcoing n’empêchent cependant pas le maintien d’une certaine originalité. Le poids du passé, les habitudes acquises ou la combativité ouvrière, autant que la position géographique de la commune concourent à maintenir à Halluin une vie urbaine largement autonome et, par bien des aspects, assez originale.
Ces archives sont tirées du livre de Dominique Vermander intitulé : « Un siècle d’histoire ouvrière à Halluin (1840- 1940).
2/2/2011.
Commentaire : Daniel Delafosse
|