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faits divers

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Léon Meunier  photo n° 5875

 

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En 1991, l'auteur Michel Hastings dédicace son livre " Halluin la Rouge",

1919-1939, aspects d'un communisme identitaire.

 Edité par les Presses Universitaires de Lille.

(photo n° 1819)

 

« HALLUIN LA ROUGE : 1919 - 1939 »,

thème de la Conférence-Débat de Michel Hastings, en 1989. 

 

Les vingt années d’ « Halluin La Rouge », c’était le thème de la conférence-débat animée le samedi 28 octobre 1989,  par Michel Hastings, auteur d’une thèse monumentale sur le sujet.

 

Le plus bel hommage qu’a reçu Michel Hastings, au terme de sa conférence, c’est probablement à cet Halluinois de souche, plus tout jeune, qu’il le doit !  

« C’est extraordinaire qu’un étranger puisse nous apprendre des choses à nous, qui vivons depuis toujours à Halluin, sur l’histoire de notre ville ».

 

Il y avait belle lurette qu’un conférencier n’avait attiré tant de monde, il est vrai qu’invité de la municipalité, de la bibliothèque et de l’association « A la recherche du passé d’Halluin », M. Michel Hastings a parlé d’un sujet qui jadis passionna tout l’hexagone et au-delà, et est encore présent dans toutes les mémoires des « anciens, il s’agit de « Halluin la Rouge », appellation symbolique d’une lutte ouvrière sans précédent qui s’étala de 1919 à 1939.

 

Les Halluinois ont maintes et maintes fois entendu dans leur famille, raconter des anecdotes de l’époque, et sont venus en masse,  ce samedi 28 octobre 1989 à la Maison des Associations Albert Desmedt rue de Lille, dans l’espoir d’approfondir leurs connaissances.

 

Ils n’ont pas été déçus. M. Michel Hastings, professeur à l’I.E.P. de Grenoble, et chercheur au CNRS, s’est lancé en 1982 dans l’étude de cette période particulièrement passionnante, et après six années d’un travail de fourmi, il a écrit 1000 pages sur le sujet et présenté une thèse de doctorat d’Etat à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Villeneuve d’Ascq.

 

Visiblement, M. Hastings a conquis l’auditoire, certes sa vision des choses à travers un travail de recherche dans les archives, n’est pas tout à fait parfaite, il en est conscient, mais tout porte à croire que son étude est très proche de la réalité. Il y a bien eu au cours du débat qui suivit des interventions d’une personne ayant vécu cette période, ou d’un féru d’histoire, qui apportèrent un plus, mais dans l’ensemble, le public admit que pour quelqu’un qui ne connaît pas notre ville, son exposé semblait étonnant de vérité.

 

Après que Mme Rossignol, bibliothécaire, eut présenté le conférencier, celui-ci précisa qu’au cours de son étude, c’est un dossier volumineux d’un poids de 5 kg, qu’il a réuni, mais qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage d’histoire.

 

Il dit aussi sa tristesse de voir que la Maison du Peuple, qui fut un véritable bastion ouvrier, a maintenant perdu de sa prestance, après avoir subi des modifications. Puis il entre dans le vif du sujet, et livre un condensé des résultats de ses recherches.

 

On retrouve des traces d’Halluin dans les archives anglaises, italiennes, allemandes et même soviétiques. « Je me suis souvent posé la question : pourquoi cette ville « blanche », cléricale et quasi-monarchiste en 1914, est-elle devenue « rouge » en 1919, et pour vingt ans ?. M. Hastings s’explique : « Certes, les communistes ont récupéré la mairie après la guerre 1939-1945, mais cela n’avait plus de sens ».

Il rappelle que le socialisme n’a duré qu’une année et que le communisme à Halluin est d’un genre tout à fait particulier. « La singularité locale est parfois dérogeante. A qui ce parti a-t-il servi ? ». Voici sa version des choses.

 

Halluin n’est pas une ville comme les autres, « Halluin la Rouge » ne se comprend pas en dehors de son passé encore proche. 

Première singularité, sa position géographique et particulière. La frontière s’est trouvée extrêmement poreuse malgré la présence de la douane, et a été un lieu de passage, un lieu de contrebande idéologique.

 

Maurice Thorez aurait passé clandestinement

 la frontière à Halluin en 1939.

 

Ici, il surprend les Halluinois qui n’ont visiblement pas entendu parler de cette anecdote en annonçant : « Maurice Thorez, secrétaire général du P.C., qui avait déserté l’armée en octobre 1939 pour rejoindre l’URSS, était passé au Christ Dael » (un passage pour piétons à l’extrémité d’Halluin-Est). Il aurait profité de l’appui des responsables halluinois du Parti communiste et de la porosité de la frontière franco-belge à cet endroit. 

Un regret : il ne se trouva personne parmi les communistes présents (que l’on comptait sur les doigts d’une main) pour confirmer ces dires.

 

L’aventure de »Halluin la rouge » ne se comprend pas sil ‘on ne se penche pas sur les migrations massives venant des plaines flamandes. 6.000 belges sont arrivés en 1886, soit 77 % de la population. « Où était le seuil de tolérance, fixé à 10 % par certains hommes politiques actuels ». Cet état de fait a une influence sur la culture locale, l’apport de ces flamands génère un surcroît de pratique religieuse, un goût de fête et de carnaval.

 

A l’époque, le circuit industriel est une mono-industrie textile, un métier domine le tissage du lin, il est pauvre et peu noble ; ce caractère particulier, accroît les misères, à tel point qu’en 1903, un journaliste parisien du Matin, est venu enquêter, a décrit les taudis, et s’est penché sur la mortalité infantile qui, avant un an, est de 30 %.

 

Dans l’armée, on considère les soldats halluinois comme étant de mauvais patriotes par ce qu’ils sont frappés de stigmates physiques (diminués qu’ils sont par un travail éreintant), il y a beaucoup de rachitiques, et les réformés sont légion. 

Les maîtres de la ville sont les maîtres économiques. Tous les maires sont des manufacturiers. Cette confiscation sociale est doublée d’une confiscation familiale. C’est ainsi que certains maires jouissent d’une longévité exceptionnelles : M. Alexandre Desmarchelier n’a-t-il pas régné de 1848 à 1896 ?

 

Derrière la façade d’une ville « blanche », se traîne une émergence du socialisme (un tiers des voix en 1914). Un socialisme qui est irrigué par les Belges. Des tribuns apportent la bonne parole dans les courées.

 

Une information : « Savez-vous que Victor Vandeputte a été l’âme du socialisme pendant quinze ans ? ». 

Ce socialisme est flamand par la composition de ses militants. C’est un socialisme « ouvriériste », il se moque de l’idéologie, il est plus social que politique, et s’exprime d’ailleurs en termes de revanche sociale. 

Mais on assiste à un vieillissement de la population, et c’est dans cette structure que s’implante le communisme.

 

Au niveau industriel, Halluin perd de sa mono-industrie. Les élections de 1919 révèlent une majorité socialiste, c’est pour la première fois l’entrée en masse des ouvriers au conseil municipal. 

Le communisme identitaire a pour fonction particulière celle de fédérer la population autour d’un projet commun qui lui redonne la fierté.

 

Ce qui a fasciné, c’est la symbiose du communisme. Pour M. Hastings, le terme « Halluin la Rouge » est un mensonge parce qu’en 1936, le candidat ne dépassera pas 60 %. « Il existe aussi Halluin la jaune, incarné par les syndicalistes chrétiens ».

 

C’est ainsi qu’il va toujours y avoir une surenchère dans la représentation ouvrière et une survalorisation de la population de tisserands. 90 % des membres du conseil municipal entre les deux guerres, est d’origine belge. Les naturalisations massives deviennent souvent des voix socialistes et communistes.

 

En 1914, les noms fleurent bon la France, en 1919, ce sont des noms flamands qui dominent. L’âge moyen d’un conseiller est de 55 ans en 1914 et de 37 ans cinq années plus tard. 

Mais le communisme se veut jeune, et la population commence à vieillir, son aspect syndical, la prise de conscience du peuple est dérivée vers le chant social, les grèves, l’action politique mais aussi sociale.

 

Les principaux leaders : Bostoen, Declercq, Tesse, sont à la fois syndicalistes et politiques. C’est l’âge d’or pour les syndicats. En 1925, sur 14.000 habitants, 6.800 sont syndiqués. Mais en 1936, quand le Front populaire consacre la victoire de la gauche, les syndicats chrétiens sont majoritaires… Il y a donc concurrence. Les idées sont complètement opposées.

 

Le rôle des grèves.

 

Il semble que la Bourse du travail ait cultivé les grèves. En 1923, il n’y a pas une seule journée, qui n’ait vu une fraction de la population faire grève. En 1928, Halluin atteint le quart des journées perdues pour cause de grève sur le plan national. « La grève des dix sous » va durer sept mois, et concerne 7.000 ouvriers.

 

La durée moyenne des journées de grévistes, atteint 52 dans l’année. On imagine ce que cela signifie de souffrances et d’infrastructures, pour subvenir aux besoins de la population. 

Cette « grève des dix sous » est la plus fabuleuse de France. Des secours parviennent d’Halluinois implantés en Amérique, l’URSS envoie aussi des dons.

 

Après cette période, le communisme devient plus gestionnaire. Halluin dans la propagande communiste est le nombril de la révolution. Maxence Van der Meersch, l’écrivain, dans « Quand les sirènes se taisent » désigne Halluin comme « La ville saint du communisme ».

 

Parmi la population on a donc un sentiment de fierté, qui a bientôt tendance au repli. « On a le sentiment de se trouver dans une ville assiégée », dit Fernand Grenier, en 1931, alors secrétaire général de mairie, avant de monter à Paris, et de faire une carrière parlementaire.

 

« Halluin la Rouge », ne parvient pas à obtenir de député communiste parce que les communes environnantes sont encore conservatrices, notamment Bousbecque et Linselles. Il faut attendre 1936, avec Gilbert Declercq, mais c’est plutôt la dynamique du Front Populaire qui fait pencher la balance.

 

Fernand Grenier par exemple, va travailler pour exhumer des textes anciens et misérabilistes pour mieux montrer l’action du parti. Ce passé revient en terme de nostalgie. On se souvient des temps artisanaux quand on était « maître d’ouvrage » ; c’est-à-dire qu’on travaillait chez soi. 

Le communisme halluinois, c’est les fêtes de quartiers politiques, l’utilisation des coups de génie, les « pâques rouges », et les « communiants rouges ». Il se propose comme étant le vecteur de la culture populaire. Le P.C., c’est le miroir dans lequel la société se voit et se reconnaît.

 

Bien sûr, M. Hastings n’a parlé que quarante minutes (c’est sa version que vous avez lue) d’un sujet qui pourrait se traiter en plusieurs heures, et il a laissé de côté volontairement des informations parfois relevées par les intervenants au cours du débat, à ces questions, le conférencier apporta toujours sa réponse, preuve qu’il attendait ces réactions.

 

Les débats.

 

Les débats à partir de là étaient ouverts. Et s’il se trouvait des personnes pour poser des questions (Mme Rossignol, le docteur Fontaine, MM Verschaeve, Verkindère et Huyghe), auxquelles M. Hastings répondit, il fallait aussi compter avec les contestations de M. Léon  Saint-Venant, dirigeant syndicaliste chrétien qui avait vécu l’époque et M. Vermander, auteur du livre « Un siècle d’histoire ouvrière à Halluin ».

 

M. Saint-Venant précise tout d’abord que les syndicats chrétiens étaient rouges également, et insiste sur leur importance. Par contre il approuve le terme « gestionnaire, et rappelle la création de coopératives. Il fait aussi remarquer qu’une grève dure a été déclenchée à Roubaix-Tourcoing, pour laquelle Halluin n’a pas été solidaire. Il souligne enfin que les ouvriers avaient en face d’eux des industriels qui donnaient plein pouvoir à M. Désiré Ley, directeur de l’union patronale, un homme qui laissa des traces dans le monde ouvrier.

 

Pour M. Dominique Vermander, c’est entre 1875 et 1885, que l’ouvrier halluinois passe du travail individuel à la concentration en usine, et entre 1890 et 1895 qu’il comprend qu’il est exploité, et c’est entre les deux guerres que se fait le passage des deux idéologies : syndicats chrétiens et socialistes d’Halluin et de Menin. Parmi les chrétiens, on note trois tendances : le clergé paroissial flamand, un courant « action française », et l’Epi (coopérative), aidée par les prêtres.

 

M. Hastings ajoute qu’au P.C., il n’y a pas de courant, « puisque les opposants à la ligne de conduite sont évincés tel Gilbert Declercq, ou exclus tel Albert Cornette, président des Jeunesses communistes, les Desmettre, Bostoen, Tesse sont décédés, et Henri Loridan est parti au fascisme. A près la guerre 1939-1945, restent les frères Casier qui n’ont pas le rayonnement voulu ».

 

Il rappelle qu’à la Libération, trois partis visent la mairie : P.C., P.S et M.R.P., et que les communistes seront par la suite victimes du système des alliances.

 

M ; Vermander apporte une précision : « Quand un M.R.P. devint maire, ce fut au bénéfice de l’âge, l’un de ses conseillers étant le doyen de l’assemblée » ; il ajoute que « si les communistes perdirent la majorité au conseil municipal, c’est aussi parce qu’ils avaient moins d’enfants que les chrétiens, donc moins d’électeurs attachés à leur cause ».

 

Ce fut le mot de la fin. Le public demeura encore longtemps dans la salle. Répartis en petits groupes, les Halluinois passèrent aux commentaires et réflexions, la preuve que le conférencier était parvenu à « accrocher », et qu’on l’aurait encore écouté des heures durant. 

 

Petite anecdote : Si le communisme halluinois n’a jamais pu franchir les limites de la ville pour contaminer le canton ou la circonscription, il a en revanche essaimé… aux Etats-Unis, et plus exactement en Pennsylvanie ou, entre les deux guerres, des Halluinois expatriés ont tenté de créer une section communiste clandestine. Qui n’a toutefois pas connu le succès rencontré dans sa ville natale, et a surtout valu, à ses instigateurs de passer pas mal de temps en prison…

 

  

Un livre « Halluin La Rouge ».

 

C’est le 22 juin 1991,  que Michel Hastings est venu présenter son livre intitulé « Halluin la Rouge, 1919 – 1939, aspects d’un communisme identitaire », un ouvrage de 440 pages, publié par les Presses universitaires de Lille. Ce jour-là, en présence du maire Alexandre Faidherbe, il est venu présenter et dédicacer son livre.

 

L’auteur définit en quelques mots le contenu de ce gros ouvrage :

 

« Halluin, aujourd’hui une ville sans histoire, Halluin la Rouge, entre les deux guerres, une ville dans l’Histoire. Vingt années d’une formidable épopée révolutionnaire pendant lesquelles une petite cité frontalière du département du Nord deviendra « la ville sainte du communisme », « la citadelle assiégée ».

 

« Comment expliquer la conquête brutale par le P.C. en 1920 d’une commune jusque là conservatrice ? Une des clés de l’aventure des tisserands d’Halluin la Rouge ne résiderait-elle pas dans la nature du communisme local ? ».

 

« Il est apparu que le parti communiste halluinois liait son destin et sa légitimité à la défense d’un sentiment d’appartenance au terroir communal. Dirigeants et militants se sentiraient investis du pouvoir et du devoir de refaire le groupe, de forger une image positive de la communauté ».

 

« Cette parenthèse communiste correspond à un moment historique du développement démographique, politique, économique d’Halluin qui contraint ou invite le Parti à répondre à certaines demandes sociales. Halluin la Rouge serait donc l’histoire d’une rencontre entre une société locale en crise et un mouvement politique producteur d’un discours d’auto-définition ».

 

« Ordonnateur festif, militant syndical, historien nostalgique, porte-parole des Flamands de la seconde et troisième génération, tels furent les rôles principaux qu’accepta de jouer ce communisme colporteur d’identité ».

 

Une ville dans l’Histoire…

 

Imaginez une ville, dont la renommée de « ville sainte du communisme », de « citadelle assiégée » dépassait les frontières de notre pays pour arriver jusqu’à Moscou et au Vatican… 

Imaginez une ville noyautée par le PC,vivant au rythme des conflits sociaux et des fêtes rouges, avec son petit peuple de bobineuses, épeleuses et autres ourdisseurs !

 

Imaginez une ville qui vit une guerre ouverte entre la municipalité et le Commissaire de Police, une guerre « jalonnée de plaintes contre les brutalités gendarmières, d’arrêtés municipaux stigmatisant « l’invasion policière » et refusant de loger les gardes mobiles ».  

Imaginez une ville qui devient socialiste, puis communiste, alors que la France se teinte de Bleu Horizon… Une ville qui compte plus de 80 % d’ouvriers ;;; Qui ne vit que du textile… Et une municipalité qui ne cesse de souffler sur le feu des grèves… Qui crée des fonds de soutien aux grévistes… Un village d’Astérix du communisme…

 

Cette ville c’est Halluin, dans les années 1919 à 1939.

 

« Halluin aujourd’hui, une ville sans histoire. Halluin entre les deux guerres, une vile dans l’Histoire ». Pour lapidaire qu’elle soit, cette formule de Michel Hastings en dit long sur ces « vingt années d’une formidable épopée révolutionnaire… ».

 

Formidablement documenté et rigoureux, le livre de Michel Hastings retrace l’histoire d’Halluin la Rouge. Un livre qui fera le bonheur des amateurs d’Histoire. Un livre fiable et bourré d’anecdotes, mais un peu austère également. Un livre qui de toute façon fera date dans la mémoire collective de la ville.

 

A la question suivante : « Votre ouvrage remonte loin en arrière avant 1919, mais il s’arrête net en 1939. Serez-vous l’auteur d’une « Histoire d’Halluin », des origines à nos jours ?

 

Michel Hasting : « Ce serait une grande joie ! On ne travaille pas des années sur une ville sans s’y attacher ! Mais ce ne pourrait être qu’un ouvrage collectif, regroupant des spécialistes des différentes périodes historiques.  

 

29/1/2011.

Commentaire : Daniel Delafosse